Vineta de Fritz Kater


Extrait de l'entretien de Leyla-Claire Rabih et Juliane Schmidt avec le sociologue allemand Wolfgang Engler, in Alternative Théâtrales 82, avril 2004: Théâtres à Berlin ; L'engagement dans le réel

W.E. : Avant 1989, les protestations des citoyens se regroupaient autour de deux lieux : les églises et les théâtres. La Volksbühne de Berlin était à l'automne 1989 un lieu de la vie sociale et politique, ce qui montre seulement que les théâtres étaient perçus de manière évidente comme des lieux où la communication publique trouvait sa place. Spontanément la population s'est tournée vers les théâtres, ce que je ne peux qu'à peine imaginer de nos jours. Dans de nombreuses villes de RDA, les théâtres sont devenus soudain des tribunes, où l'on débattait, on formulait des solutions, où l'on planifiait les jours suivants.
Qu'en est–il de l'espace public aujourd'hui ? Il semblerait qu'il soit vraiment déserté. Cela est dû à différents phénomènes, parmi lesquels la précarisation sociale est le plus important, c'est à dire la réelle vulnérabilité, qui ne touche pas seulement les chômeurs... Du temps que l'on croit pouvoir encore se réfugier ou se régénérer dans la sphère privée, alors on y reste. Lorsque cela ne sera plus possible, on en sortira, mais pour le moment je crois que nous sommes dans une phase de profonds bouleversements et de déstabilisation des conditions de vie. Et nous n'avons pas encore abordé la phase où cette expérience se généralise, et puisse être traitée en commun, discutée en public, proposée au débat.
Pour le moment nous sommes face à de nombreux phénomènes individuels, aux souffrances personnelles et multiples d'une société qui ne ressent pas encore la nécessité de se rassembler, de se socialiser. Auquel cas il incomberait aussitôt au théâtre une toute autre fonction. Le théâtre pourrait bien sûr reconnaitre ici un aspect de sa fonction et activer de tels processus afin de venir à bout de cette “privatisation ” des problèmes, de cette isolation dans la souffrance personnelle et de cette déstabilisation. Mais cela signifierait d'abord thématiser ces problèmes. Alors que l'on observe au théâtre la même tendance que dans le champs social : individualisation ou privatisation, le théâtre répète ce phénomène au lieu de l'interroger.

Pourquoi les pièces d'Armin Petras rencontrent –elles un tel succès dans la Partie ouest de l'Allemagne ? Qu'est–ce qui là intéresse le public de l'ouest ?

W.E. : En ce qui concerne Armin Petras, c'était encore tout à fait différent au début des années 90. On avait l'impression que, malgré des moyens très personnels, le théâtre de Petras allait devenir du Castorf : une forme de culture trash, avec une façon de violenter quelque peu les textes ou les histoires, de les actualiser avec force dans des scénographies extrêmes.... Mais il est un des rares auteurs dont les textes sont compréhensibles pour un public de l'ouest. Il introduit toujours dans les fable certains éléments qui reflètent une expérience de l'ouest. C'est vrai qu'après avoir quitté ; la RDA, il a aussi vécu à l'ouest. Par exemple dans une pièce comme Zeit zu lieben, Zeit zu sterben..., une partie de cette expérience à l'ouest est thématisée. Le personnage principal découvre l'amour à l'ouest, cette expérience contraste avec les ruades désespérées contre les conditions de vie à l'est. L'histoire et les personnages sont de moins en moins réductibles à leur lieu d'origine. Dans ses textes se cristallise quelque chose d'un voyage à travers les deux parties de l'Allemagne, quelque chose d'une forme de comparaison.

Est ce que c'est le début d'une unification...?

W.E. : Oui je crois que l'époque où l'on se répartissait les contenus en fonction de son origine dans l'une des deux Allemagnes touche à sa fin. Cette évolution est sensible dans différentes formes artistiques et tout particulièrement chez la jeune génération. Au cinéma, on assiste ainsi à des croisements entre thématiques et origines, comme récemment avec le film Herr Lehmann, à travers lequel un réalisateur de l'est Leander Haußmann s'intéresse au Berlin – Ouest des années 80. Le film Good bye, Lénine, qui relate la période de la chute du mur, dans une famille de l'est et dont le réalisateur Wolfgang Becker vient d'Allemagne de l'ouest en constitue un autre exemple. En littérature on observe la même chose et la jeune génération d'auteurs, qui ont environ une trentaine d'année, qu'ils soient originaires de l'est ou de l'ouest trouvent tous leurs thèmes et leur inspiration de préférence à l'est.